Les cités-jardins de Bruxelles, une histoire insolite et méconnue

22 Mai

As-tu déjà eu l’impression de te retrouver tout à coup dans un petit village de campagne anglais en te baladant à Bruxelles? Si oui, tu as sûrement vu une cité-jardin, un patrimoine historique insolite et peu connu dont on fête les 100 ans!

En ce dimanche après-midi ensoleillé, je visite la cité-jardin du Logis-Floréal à Watermael-Boitsfort.  Des petites maisons de style cottage, parées de mignonnes fenêtres à meneaux, sont alignées le long de rues bordées de cerisiers en fleurs. Tous les volets, portes et boites aux lettres sont verts ou jaunes. 

Petites pelouses devant, jardinets à l’arrière, les maisons sont séparées par des haies au milieu desquelles serpentent de petites allées pédestres. Ce quartier de Bruxelles est vraiment atypique. Je me crois à la campagne en pleine ville. Comment est-ce possible? Quelle est l’histoire derrière ce lieu atypique? 

Pour lever ce mystère, je me suis inscrite à une visite guidée d’ARKADIA et j’apprends (tiens-toi bien!) que ce n’est pas un cas isolé! C’est carrément une vingtaine de cités-jardins qui a été construite à partir de 1922 dans les communes à la périphérie de Bruxelles. 

La cité Van Lindt à Auderghem, le Quartier de La Roue à Anderlecht, la cité Diongre à Molenbeek…tu peux encore en voir plusieurs aujourd’hui et plein d’activités sont organisées ce printemps pour fêter le centenaire de leur création!  

Je découvre aussi que ces cités-jardins sont le résultat d’une volonté de créer une nouvelle société plus égalitaire en pleine ère industrielle. Rien que ça! Bon allez je te raconte.

C’est quoi une cité-jardin? 

Le style cottage, ce n’est pas un hasard, ma bonne dame! Le concept des cités-jardins nous vient d’Angleterre. Il a été théorisé à la fin du 19ème siècle par l’urbaniste Ebenezer Howard

Dans son manifeste Garden cities of tomorrow, il expose son idée d’un nouveau type de ville pour loger décemment les ouvriers qui quittent les campagnes et affluent en nombre dans les zones urbaines. 

Ces nouveaux citadins, en plus d’avoir des conditions de travail que tu ne souhaiterais pas à ton pire ennemi, s’entassent dans des lieux complètement insalubres où les épidémies foisonnent. 

Alors, que veut faire ce cher Ebenezer? Et bien, il préconise la construction de maisons individuelles. Elles doivent être simples et fonctionnelles mais aussi modernes (salle de bain, égouts, gaz etc). Afin d’être bon marché leur architecture doit être uniformisée et les matériaux achetés en gros.

La nature et l’espace sont aussi des éléments clés des cités-jardins afin d’avoir du bon air et d’éviter les épidémies. Enfin, elles sont conçues de façon à favoriser la cohésion sociale avec des espaces de rencontres et des lieux partagés comme des potagers communs. 

Les cités-jardins ne sont pas restées un idéal de papier puisque plusieurs ont commencé à avoir le jour peu après en Angleterre mais aussi aux Pays-Bas. Pour la Belgique, il faudra attendre le lendemain de la première guerre mondiale. 

L’histoire révolutionnaire des cités-jardins de Bruxelles

En 1919, il manque énormément de logements urbains en Belgique. Afin de pallier cette pénurie, le gouvernement crée la Société Nationale des Habitations Bon Marché. Son rôle?  Prêter de l’argent à faible taux sur une longue durée à des sociétés locales de construction.  

Mais là où ça devient intéressant c’est que les choix de la Société nationale ne sont pas neutres. Ils sont le reflet d’un idéal politique

La Société nationale va en effet suivre les idées du mouvement moderniste, un groupe d’architectes et d’urbanistes aux idées politiques et sociales progressistes qui veut rompre avec les traditions architecturales du passé. Les modernistes ont justement découvert et étudié les cités-jardins lors de leurs exils en Angleterre et aux Pays-Bas pendant la première guerre mondiale.  

C’est ainsi que face au problème d’hygiène et de promiscuité causé par l’habitat collectif, la Société nationale privilégie le modèle des cités-jardins préconisé par les modernistes et non des barres d’immeubles par exemple. 

Autre point révolutionnaire pour l’époque: la Société nationale accorde prioritairement ses financements aux personnes se regroupant en société coopérative de locataires. Elle décide ainsi de favoriser le modèle de gestion collective au dépend de la spéculation immobilière. 

« les locataires, membres de ces sociétés, sont en même temps co-propriétaires des immeubles construits par leurs soins. »

Le Soir

Le journal Le Soir écrit en avril 1922 : « Ces sociétés sont fondées grâce à l’action coopérative de leurs membres effectifs qui, tout en se proposant d’occuper les logements édifiés par elles, participent, en outre, à la formation de leur capital social. En d’autres termes, les locataires, membres de ces sociétés, sont en même temps co-propriétaires des immeubles construits par leurs soins. (…) Les sociétés coopératives de locataires se constituent habituellement parmi des groupes de personnes présentant entre elles certaines affinités d’ordre professionnel, corporatif ou autre. » 

C’est ainsi que le Logis a été créé par  le regroupement en coopérative d’employés de la Caisse d’Epargne et le Floréal d’ouvriers typographes du journal Le Peuple.

Ce modèle de cités jardins et de coopératives connaît un réel engouement. Mais en 1925 on arrête de construire de nouvelles cités-jardins. Pourquoi? Bah, les autorités ont peur de les voir se transformer en nids à bolchéviques. Elles voient rouges 😉

Certaines cités restent, d’autres perdent leur homogénéité avec des nouvelles constructions. Dans les années 1990, une partie de ces habitations devient des logements sociaux. 

Les cités-jardins ne se ressemblent pas toutes

Même si elles suivent les mêmes principes, toutes les cités-jardins de Bruxelles n’ont pas la même esthétique. On peut en distinguer trois catégories:

  1. les cités inspirées par la tradition des cottages anglais et autres modèles régionalistes :
    Cités La Roue, Le Logis-Floréal, Moortebeek, Verregat, cité Diongre, Heymbosch, Heideken, Bon Air, Forest-Vert, Homborch, Joli-Bois, Transvaal et Terdelt à Bruxelles  

  2. les cités qui peuvent être considérés comme cubistes :
    Cité Moderne à Berchem-Sainte-Agathe, cité-jardin du Kapelleveld à Woluwe-Saint-Lambert

  3. les cités qui s’inspirent des villages ouvriers, des béguinages, de l’habitation rurale et des immeubles de rapport: Cités Janson, Wannecouter, Villas, Clos Saint-Martin, cité de Saulnier, Noget, Errera, Volta, Het Krietiekpad à Bruxelles.

Et aujourd’hui, gentrification ou nouvelle utopie? 

Aujourd’hui, nature et convivialité sont très recherchés et, comme tu l’imagines,ces cités-jardins sont très attractives. Les maisons se vendent à prix d’or alors que ces constructions sont mal isolées et que le classement au patrimoine du Logis-Floréal rend les démarches de rénovations compliquées.   

Mais alors, je me dis, ces cités vont-elles finir par se gentrifier et tourner le dos à l’idéal à la base de leur création? Ou vont-elles plutôt se polariser entre propriétaires et locataires sociaux, entre anciens et nouveaux habitants? 

C’est sans compter sur ces habitants qui s’engagent pour leur quartier, comme Nathalie et Sophie. L’ une est propriétaire et l’autre locataire, mais toutes deux sont actives au sein du groupe d’habitants Les compagnons du Floréal. Leur buts? Continuer à créer de la convivialité et à valoriser ce patrimoine original.

« Moi ce que j’aime et qui réunit les gens ici, c’est l’amour de ce quartier. »

“Moi ce que j’aime et qui réunit les gens ici, c’est l’amour de ce quartier. Il y a un attachement affectif très fort.” confie Nathalie. “On est tous des passionnés de notre cité. On veut la faire connaître et la protéger” renchérit Sophie. L’association organise plein d’activité notamment des visites guidées par les habitants les week-ends.

Je retrouve la même envie de lien et de partage au potager collectif de la Ferme du Chant des Cailles où Claire, Martine, Caroline, Arnaud, Françoise et Magda partagent une bière au soleil.  “On a travaillé deux heures, on va boire deux heures!” disent-ils en riant. 

“C’est vraiment un projet pour créer du lien social, on veut créer une dynamique de quartier » explique Magda. Claire, quant à elle, raconte “Je suis venue l’année dernière car j’avais envie de mettre les mains dans la terre, avec des gens, pour partager connaissance et relation”. 

Je suis rassurée, entre contact humain et avec la nature, l’idéal de la cité-jardin semble toujours bien présent.

Visiter le Logis-Floréal

Teste la visites guidée par l’habitant avec Martine des Compagnons du Floréal. Les prochaines dates sont:
Samedi 28 mai à 14h
Samedi 4 juin à 14h
Dimanche 19 juin à 14h
Départ du Visitor Center, Place Joseph Wauters 4 à Watermael-Boitsfort. Pas d’inscription obligatoire. 5 euros.

Autre chouette idée: les balades audio-guidées du Logis- Floréal à télécharger et écouter directement sur ton téléphone.

Va aussi lire ce document génial qui raconte l’histoire des cités-jardins à Bruxelles et plus spécifiquement celle du Logis-Floréal. 

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